L’exploitation commerciale de
l’image des enfants sur les plates-formes en ligne : enfin une proposition
de loi !
Publié le
02/09/2020 - mis à jour le 03/09/2020 à 9H18
Tifany Labatut
docteur en droit privé
La multiplication des médias sociaux (YouTube,
TikTok, Instagram) sur internet a fait émerger de nouvelles formes de travail,
à l’image des « youtubeurs ». Parfois, les influenceurs tirent de ces
activités d’importants revenus. C’est pourquoi certains parents ont vu dans ces
plates-formes de partage de vidéos une bonne source de profit, et y exposent
leurs enfants… Et ça fonctionne ! Les enfants influenceurs exercent
parfois leur activité dans le cadre d’une relation de travail ou en dehors,
mais ils perçoivent de gros revenus. Or dans les deux cas, ces activités ne
sont pas réglementées. Sans cadre juridique protecteur, ces enfants
influenceurs s’exposent quotidiennement à de nombreux risques
(cyber-harcèlement, pédopornographie, absence de garantie sur la durée de
travail, de protection de leurs revenus, etc.). Ainsi, pour lutter contre ce
fléau, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture une proposition de
loi relative à l’encadrement de l’exploitation commerciale de l’image d’enfants
de moins de 16 ans sur les plates-formes en ligne. Procédons à son étude.
1. C’est une
grande nouvelle : l’Assemblée nationale a adopté en première lecture le
12 février 2020, la proposition de loi visant à encadrer l’exploitation
commerciale de l’image d’enfants de moins de 16 ans sur les plates-formes en
ligne1. Ce texte composé de
8 articles a pour principaux objectifs :
·
d’étendre le régime d’autorisation individuelle préalable (dont relèvent
actuellement les enfants artistes)2 aux enfants
influenceurs3 exerçant leur
activité dans le cadre d’une relation de travail ;
·
d’élaborer un cadre juridique ad hoc pour les enfants
influenceurs n’exerçant pas leur activité dans le cadre d’une relation de
travail ;
·
de responsabiliser les plates-formes de partage de vidéos ;
·
d’ouvrir l’exercice du droit à l’effacement numérique à tous les enfants.
2. Cette
proposition de loi vient ainsi combler un vide juridique ce qui était vraiment
urgent4. En effet, il
convient de rappeler que, par principe, le travail des enfants est interdit5. De nombreux textes
internationaux, européens et de droit interne (français) viennent d’ailleurs
consacrer ce droit fondamental. Toutefois, par exception, certains enfants ont
le droit de travailler : il en est ainsi des enfants artistes (comédiens,
chanteurs, danseurs, etc.). Le travail de ces enfants artistes est réglementé
par le droit français aux articles L. 7124-1 à L. 7124-35 ainsi
qu’aux articles R. 7124-1 à R. 7124-38 du Code du travail.
Ces articles traitent des conditions d’accès à ces métiers, des horaires de travail,
de la rémunération, etc. Ils permettent une protection minimale de ces enfants
dans l’exercice de leur activité.
3. Mais
« qu’en est-il de l’exposition des enfants dans les médias sociaux, sur
internet ou par la téléréalité (cas des États-Unis)6 ? S’agit-il d’un
travail ? »7. La réponse à cette
question est, au vu de notre sujet d’étude, bien évidemment négative. Ces
enfants échappent donc (pour le moment) au régime d’autorisation individuelle
préalable prévu par le Code du travail (C. trav.,
art. L. 7124-1 – appliqué aux enfants artistes).
Or il s’agit bien là d’un problème, puisque de nos jours, de plus en plus
d’enfants dits « influenceurs » exercent des activités à des fins
lucratives (partenariats publicitaires pour le placement de produits8, monétisation des
vidéos9, etc.), sur les
médias sociaux (YouTube, TikTok, Instagram, etc.). Le tout, généralement
instrumentalisé par des parents qui souhaitent à tout prix que leur enfant
devienne la star des réseaux10.
4. Par
conséquent, découlent de cette pratique un grand nombre de difficultés :
tout d’abord, certains enfants exercent cette activité dans le cadre d’une
relation de travail et ne sont aucunement reconnus par le Code du travail comme
effectuant un « travail ». Or « une décision judiciaire peut à
tout moment requalifier la prestation fournie en relation de travail, ce qui
expose les producteurs et réalisateurs – en général les parents ou leur
famille proche – à une peine de 5 ans d’emprisonnement et de
75 000 euros d’amende »11 (C. trav.,
art. L. 8224-2). Ensuite, certains enfants n’exercent
pas cette activité dans le cadre d’une relation de travail mais peuvent tout de
même être considérés comme des influenceurs et percevoir d’importants revenus.
En effet, « certaines vidéos ne font l’objet d’aucune monétisation ;
l’enfant ne reçoit pas nécessairement de consignes ou d’ordres de la part du
réalisateur producteur de la vidéo »12. Or sans
réglementation, les revenus de l’enfant ne sont pas protégés (ils reviennent
par principe au détenteur de l’autorité parentale). Enfin, une autre difficulté
résulte du fait que certains parents publient des vidéos de leurs enfants, sans
leur consentement et sans qu’il soit possible pour eux de les effacer
ultérieurement13.
5. D’un autre
côté, vient s’ajouter à ces problèmes, l’absence de responsabilisation des
plates-formes de partage de vidéos (tels que les médias sociaux). Or cela
contribue à la multiplication de ce phénomène. En effet, les médias sociaux
permettent, sur le fondement juridique de l’autorité parentale, un
contournement de leurs conditions générales d’utilisation. Dans cet ordre
d’idées, cela « revient pratiquement à accorder le droit à un mineur [de
moins de 13 ans] de posséder un compte sur un réseau social, à ceci près
qu’il n’a pas le contrôle de son image ni le droit au respect de sa vie privée14 et que son
consentement n’est pas toujours donné (il en est ainsi notamment des très
jeunes enfants, au regard de l’article 16 de la convention internationale
des droits de l’enfant) »15. L’ensemble de ces
éléments permettent la prolifération de dérives mettant en danger les enfants
(santé psychique16, cyber-harcèlement17, pédopornographie18 – absence de
garantie sur la durée de leur travail et de protection de leurs revenus).
6. De ce fait,
sans encadrement, un enfant de 4 ans peut en toute hypothèse travailler
6 heures par jour, tous les jours de la semaine, et ne percevoir aucun
salaire. C’est pourquoi de nombreuses voix se sont élevées en France et à
l’étranger pour alerter les États sur les dangers résultant de ce vide
juridique et pour demander l’encadrement légal de ces nouvelles formes de
travail19. Présentement, seule
la France a répondu à l’appel (proposition de loi adoptée par l’Assemblée
nationale en première lecture)20, ce qui la rend par
conséquent pionnière en la matière. Ainsi, en cas de promulgation de la loi,
cela pourrait conduire un grand nombre d’États à œuvrer dans ce sens. Les
enjeux induits par cette proposition de loi sont donc de taille ! C’est
pourquoi le modèle français se doit d’être complet pour conduire à des
résultats pratiques effectifs.
7. En ce sens,
nous sommes en droit de nous demander si cette proposition de loi permet
(au-delà du fait qu’elle vient combler un vide juridique, ce qui doit être
salué) de lutter efficacement contre les risques résultant de l’exploitation
commerciale de l’image des enfants dans les médias sociaux. Répondre à cette
question nous conduira à nous intéresser aux différents mécanismes juridiques
proposés par cette loi (allant du plus contraignant – autorisation
individuelle – au moins contraignant – déclaration de diffusion).
Cette première analyse nous permettra d’une part de comprendre les multiples
avantages tirés de ces mécanismes et d’autre part de déterminer si le degré de
protection, établi par chacun d’entre eux, est à même de protéger suffisamment
les enfants qu’ils concernent (I).
8. À la suite de
cela, il conviendra de porter notre attention sur un autre thème important mis
en avant par cette loi, à savoir la responsabilisation des plates-formes de
partage de vidéos, puisqu’il s’agit là d’un point dont la mise en œuvre
pratique échapperait en partie au contrôle de l’État (système reposant sur la
base d’une collaboration et d’un devoir d’information – ouverture de
l’exercice du droit à « l’oubli numérique »21). Notre objectif sera
donc de déterminer s’il subsiste des manques à la responsabilisation de ces
plates-formes en ligne et si tel est le cas, nous essaierons de présenter des
solutions tendant à consolider les objectifs poursuivis par la proposition de
loi (II). Enfin, l’ensemble de cette étude nous permettra de mettre
en avant les points forts et les points qui devraient, à notre sens, être
renforcés, pour une meilleure protection des enfants en ce domaine spécifique
du droit.
I – La France pionnière dans l’encadrement de l’exploitation
commerciale de l’image d’enfants de moins de 16 ans dans les médias
sociaux : quels sont les enfants concernés ?
9. La proposition
de loi venant encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants dans les
médias sociaux ne s’adresse pas à tous les enfants. Elle concerne seulement
ceux qui remplissent les conditions permettant d’établir une relation de
travail (régime d’autorisation individuelle préalable) (A) et ceux
qui remplissent certaines de ces conditions (lorsque sont perçus des revenus
directs ou indirects « élevés » ou bien lorsque la durée cumulée ou
le nombre de contenus diffusés atteint un seuil « élevé »22) sans pour autant
conclure à l’établissement d’une relation de travail (cadre juridique ad
hoc – déclaration de diffusion) (B). Procédons à l’analyse
de ces deux axes d’étude.
A –
Dans le cadre d’une relation de travail : extension du régime
d’autorisation individuelle préalable aux enfants influenceurs
1 – La demande d’autorisation individuelle pour
le mineur
10. Le premier
article de la proposition de loi étend le régime d’autorisation individuelle
préalable actuellement appliqué aux enfants artistes, « aux enfants
figurant dans des vidéos diffusées sur les services en ligne »23 dès lors que
leur activité relève d’une relation de travail (une prestation de travail, une
rémunération et un lien de subordination – producteur/réalisateur de
contenus)24. En l’état actuel du
droit, le métier d’enfant artiste est réglementé aux articles L. 7124-1 à
L. 7124-35 ainsi qu’aux articles R. 7124-1 à R. 7124-38 du Code
du travail. En conséquence, au sens de l’article 1er de la nouvelle loi, « les
enfants engagés ou produits en vue d’une diffusion sur un service de média
audiovisuel à la demande ; d’autre part, les enfants dont l’image est
diffusée à titre lucratif sur des plates-formes de partage de vidéos »25 devront pour
exercer leur activité en tant qu’« enfant influenceur »26, faire une demande
d’autorisation individuelle auprès du préfet. Cette obligation devrait figurer
au sein de l’article L. 7124-1, 5° du Code du travail.
11. Il est
également prévu au sein de cette disposition qu’en cas d’obtention de
l’autorisation individuelle, l’autorité administrative délivre une information
aux parents, relative aux droits de l’enfant (modalité de réalisation des
vidéos, conséquence de l’exposition de son image, etc.). Enfin, l’employeur qui
méconnait ces dispositions encourt jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et une
amende de 75 000 euros (C.
trav., art. L. 124-22).
12. Il ressort de
ces dispositions de nombreux points positifs. Tout d’abord, elles viennent
combler un vide juridique. Ensuite, elles permettent de reconnaître, d’un point
de vue juridique, le travail des enfants influenceurs de moins de 16 ans,
(dès lors que les conditions nécessaires à cette qualification sont réunies).
Enfin, elles assurent l’application de divers contrôles portant sur la santé du
mineur, son assiduité scolaire, ses heures de travail et la protection de ses
revenus. En conséquence, l’initiative d’une réglementation en ce domaine est
tout à fait louable et permettra assurément de protéger davantage ces enfants
dont l’image est exploitée commercialement dans des médias sociaux.
2 – La demande d’agrément pour les parents ou le
tuteur légal
13. À présent,
dans le cadre précis de l’exploitation de l’image commerciale des enfants sur
les plates-formes en ligne, il convient de souligner que la publication de
contenus est fréquente (quotidienne, hebdomadaire). Dès lors, faire une demande
d’autorisation individuelle à chaque nouveau contenu serait compliqué. C’est
pourquoi le premier article de la loi propose aux alinéas 9 et 10 que
les employeurs, par exemple les parents, puissent solliciter le même agrément
que les agences de mannequins. Ainsi, la proposition de loi suggère la création
d’un article 7124-3-1 à la section I du chapitre IV du titre II
du Code du travail qui disposerait que « L’autorisation individuelle
mentionnée au 5° de l’article L. 7124-1 n’est pas requise lorsque
l’employeur a obtenu un agrément lui permettant d’engager des enfants de moins
de 16 ans » et la modification de l’article L. 7124-5 du même
code qui viendrait préciser les modalités de délivrance de l’agrément (durée
déterminée renouvelable, retrait, suspension pour une durée limitée)27.
14. La mise en
place de ce dispositif dérogatoire a pour avantage de s’adapter à la réalité
pratique. Toutefois, dans le cas où cette loi serait définitivement adoptée, il
faut espérer que la commission28 chargée de
l’instruction de la demande d’autorisation individuelle et de la demande
d’agrément soit très attentive au rôle que l’enfant sera appelé à jouer sur ces
plates-formes en ligne. En effet, à regarder certaines chaînes YouTube
d’enfants influenceurs, on trouve des vidéos au contenu à chaque fois plus
surprenant (dans une logique concurrentielle), telles qu’« on mange que de
la nourriture orange pendant 24 heures »29 ou bien
« 24 heures sur la table ! ! Sans toucher le sol de A
à Z ! – Challenge »30. Aujourd’hui, ces
vidéos peuvent être diffusées sans aucun problème. Dès lors, au nom de
l’éthique, se pose la question de savoir quel contenu pourra ou non faire
l’objet d’un avis favorable auprès de la commission31. Si les rapports de
la proposition de loi n’ont pas abordé ce point, on imagine qu’elle fera
l’objet d’observations ultérieures32.
3 – Les heures de travail
15. L’extension
du régime d’autorisation individuelle préalable aux enfants influenceurs
permettrait l’encadrement des heures de travail (C. trav.,
art. L. 7124-6 à C. trav.,
art. L. 7124-8 ; C. trav.,
art. R. 7124-27 à C. trav.,
art. R. 7124-30-2). Ainsi, en cas de non-respect de ces
dispositions, l’employeur encourait jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et une
amende de 75 000 euros (C. trav.,
art. L. 7124-24)33. Sur ce point, le
rapport de la proposition de loi précise que les durées de travail quotidienne
et hebdomadaire seront déterminées par un décret en Conseil d’État34. Sur ce point, il
convient d’être attentif, puisque le travail de l’enfant s’effectue au sein de
son foyer (sans le regard de personnes extérieures, et les parents peuvent être
aussi les employeurs), il est aisé de passer outre le nombre d’heures autorisé
(cas de la diffusion différée)35. Pour pallier cette
difficulté, il conviendrait de faire une étude de terrain qui se baserait sur
un certain nombre de critères tels que la durée d’une vidéo, la fréquence de
diffusion des contenus, le temps « moyen » de préparation pour la
diffusion d’un contenu, afin de pouvoir déterminer le nombre d’heures de
travail effectué.
4 – La rémunération des enfants influenceurs
16. En l’état
actuel du droit, l’article L. 7124-9
du Code du travail prévoit que « les parents ou
le tuteur légal ont le droit de percevoir une partie des revenus de leur
enfant. La justification juridique de ce droit repose (…) sur la notion
d’“intérêt de l’enfant” ». Toutefois, le Code du travail pose une limite
et dispose que le « surplus » doit être versé sur un compte de dépôt
ouvert à la Caisse des dépôts et consignations (C. trav.,
art. L. 7124-9). Le montant du surplus est déterminé
par la commission chargée de valider l’autorisation de travail (C. trav.,
art. R. 7124-31 »36. Enfin, l’article
L. 7124-25 du Code du travail précise les sanctions appliquées
en cas de non-respect de ces dispositions : une amende de
3 750 euros et en cas de récidive, une peine de prison de 4 mois
et une amende de 7 500 euros.
17. Ce dispositif
est essentiel et vient parachever la protection des mineurs surexposés dans les
médias sociaux. En effet, trop de parents finissent par arrêter leur activité
professionnelle afin de se consacrer entièrement à la carrière de leur enfant,
pour en tirer un maximum de profits. Dès lors, cette mesure garantit à l’enfant
de pouvoir récupérer à sa majorité les fruits de son travail. Toutefois, cette
obligation se heurte à quelques difficultés d’ordre pratique. En effet, en
règle générale, « les rémunérations de cet écosystème sont assez
complexes. Pas évident de trancher entre la publicité en ligne, les placements
de produits, et les autres avantages en nature comme les cadeaux, les
voyages »37. De même, lorsque sur
certaines vidéos, l’on aperçoit plusieurs personnes, se pose la question de
savoir comment seront répartis les gains (quid des revenus perçus pour la
monétisation des vidéos) ? Il est donc important que le décret en Conseil
d’État éclaircisse ces points et mette en avant des solutions concrètes.
B –
Hors du cadre d’une relation de travail : application d’un cadre
juridique ad hoc protégeant l’intérêt des enfants
18. Dans nos
précédents développements, il a été dit que l’article 1 de la proposition
de loi avait pour objet d’étendre le régime d’autorisation individuelle aux
enfants influenceurs dès lors qu’au regard du droit, une relation de travail
pouvait être établie. Se pose donc à présent, la question de savoir quel sera
le sort réservé aux enfants qui ne relèvent pas à proprement parler d’une
relation de travail (prestation de travail, rémunération, lien de
subordination). Pour eux, la proposition de loi met en avant via son
article 3 « un cadre juridique ad hocprotégeant les
intérêts des enfants »38. Cette disposition
est essentielle, puisqu’elle permet de couvrir un grand nombre de situations39.
19. Dans cet
ordre d’idées, l’article 3-I de la proposition de loi soumet la diffusion
de l’image de l’enfant par un service de plate-forme de partage de vidéos à une
déclaration de diffusion auprès de l’autorité compétente (la direction
départementale de la cohésion sociale). Une fois cette démarche effectuée,
l’autorité compétente enverra aux parents de l’enfant une série de
recommandations (nombre d’heures de travail, informations sur les divers
risques liés à cette activité)40. En revanche, il
convient de souligner que cette déclaration de diffusion est seulement exigée
« lorsque la durée cumulée ou le nombre de ces contenus excède, sur une
période de temps donnée, un seuil fixé par décret en Conseil d’État »
(article 3-I (1°)) ou bien lorsque « la diffusion de ces contenus
produit, au profit de la personne responsable de la réalisation, de la
production ou de la diffusion de celui-ci, des revenus directs ou indirects
supérieurs à un seuil fixé par décret en Conseil d’État » (article 3-I
(2°))41. Dans ce dernier cas,
les revenus devront, comme dans l’article l de la proposition de loi, être
versés à la Caisse des dépôts et consignations (article 3-III) jusqu’à la
majorité de l’enfant. En cas de non-respect, l’article 3-IV, prévoit une
amende de 75 000 euros.
20. D’après ces
dispositions, l’on constate que l’article 3 de la proposition de loi
dispose d’un régime plus souple que celui imposé par l’article 1. En
effet, l’article 3-II ne met en avant que des recommandations à
destination des familles, ce qui signifie qu’il est possible, en toute
hypothèse, de passer outre celles-ci sans pour autant être contrôlé42 (contrôle des
heures de travail). Dès lors, il est fort probable que de nombreux parents,
pour éviter de se voir appliquer les contraintes imposées par le régime de
l’autorisation individuelle, visé à article 1 de la loi, usent de
subterfuges pour se voir appliquer le régime plus souple de la déclaration de
diffusion, visé à l’article 3. En fin de compte, le réel avantage tiré de
cette disposition repose avant tout sur la protection des revenus des enfants.
Pour le reste, le décret d’application aura donc un rôle important à jouer.
II – Les plates-formes de partage de vidéos au service d’une
protection effective des enfants ?
21. Les
articles 2, 4 et 5 de la proposition de loi tendent à responsabiliser les
plates-formes de partage de vidéos43. Toutefois, le
dispositif prévu est-il suffisant ou au contraire devrait-il être
complété ? Pour répondre à cette question, nous essaierons de déterminer
les risques subsistant à la responsabilisation des plates-formes en ligne, afin
de savoir s’il serait possible de les résorber à travers la création de
nouveaux mécanismes (A). Enfin, dans un dernier temps, nous nous
attarderons sur la mise en place du droit à « l’oubli numérique »,
afin d’évaluer la pertinence de ce nouveau mécanisme dans sa possible mise en
œuvre pratique (B).
A –
Les risques subsistant à la responsabilisation des plates-formes de partage de
vidéos
22. L’article 2
de la proposition de loi introduit une « obligation, pour les
plates-formes de partage de vidéos, de faire cesser la diffusion de contenus
méconnaissant l’obligation d’autorisation »44 ou d’agrément
préalable45 (pour les cas
relevant des articles 1 et 3-I (2°)). En conséquence, lorsque les
parents ou le tuteur légal exploitant l’image commerciale de leur enfant dans
le cadre d’une relation de travail n’auront pas fait une demande d’autorisation
individuelle ou d’agrément préalable, l’autorité administrative compétente
pourra alors saisir le juge des référés, afin qu’il puisse ordonner
« toute mesure propre à prévenir un dommage imminent ou à faire cesser un
trouble manifestement illicite »46.
23. Selon cette
analyse, il semble que cette disposition ne soit pas applicable aux enfants
relevant du régime de la déclaration de diffusion (article 3-I (1°) de la
proposition de loi). En effet, si l’on se réfère aux commentaires du rapport de
la proposition de la loi (tome 1) au sujet de l’article 447, il est soutenu que
les plates-formes de partage de vidéos devront « coopérer avec les
services de l’État afin que tous les contenus dans lesquels apparaissent des
mineurs de moins de 16 ans, téléversés depuis le territoire français et
qui sont source de revenus pour les services de plate-forme, soient signalés à
l’autorité administrative compétente »48. Ainsi, au vu de cet
énoncé, sont visés les enfants relevant de l’article 1 de la proposition
de loi ainsi que ceux relevant de l’article 3-I (2°), ce qui exclut les
enfants relevant de l’article 3-I (1°). Or opter pour un tel raisonnement
induit l’idée que l’aspect monétaire visé à l’article 1 et à
l’article 3-I (2°) prévaut sur la durée des contenus visés à
l’article 3-I (1°), ce qui est contraire à l’intérêt des enfants. Dès
lors, il devrait être fait abstraction de ce critère pour y inclure également
les enfants visés à l’article 3-I (1°).
24. Hormis ce
point, ces dispositions ont pour avantage d’impliquer davantage les services de
plates-formes en ligne dans la protection des enfants. Mais pour un résultat
optimal, ces derniers devront assurément mettre en place des outils
pédagogiques variés, destinés à œuvrer en ce sens. De quels outils pourrait-il
s’agir ? Pour répondre à cette question, nous allons nous attarder dans
les prochains développements sur la création d’un outil ayant pour but
d’appuyer les objectifs poursuivis par la proposition de loi. Ainsi, au sens de
notre proposition, il s’agirait de créer un outil, à l’image du guide sur la
gestion de l’espace de stockage sur Mac49, qui permettrait de
visualiser à partir du compte utilisateur d’un média social, la durée restante
(au regard des critères imposés par l’article 3-I (1°) et (2°) puis
spécifié par le décret) avant de devoir effectuer une demande d’autorisation individuelle,
une demande d’agrément ou encore une déclaration de diffusion auprès de
l’autorité administrative compétente. En pratique, pour avoir accès à cet
outil, il faudrait lors de la création d’un compte faisant intervenir un enfant
sur une plate-forme de partage de vidéos, demander aux parents de transmettre à
la plate-forme en ligne (sous peine de suspension du compte) la photocopie
d’une pièce attestant de l’identité du mineur50.
25. Par suite de
cette étape, il serait généré dans la partie compte de l’utilisateur, un nouvel
onglet dit « diffusion d’image », qui permettrait de visualiser le
pourcentage utilisé par les différentes catégories (durée, salaires, etc.)
figurant dans le décret (à l’aide d’un graphique-jauge)51. Pour cela, il
suffirait de déplacer « le curseur sur une couleur pour voir la quantité
d’espace que chaque catégorie utilise. L’espace blanc représente(rait) l’espace
de stockage libre »52. Ainsi, lorsque
l’espace utilisé apparaissant dans le graphique-jauge
atteindrait 70 %, une alerte (à l’image des bannières publicitaires
web) serait automatiquement générée sur le compte de l’utilisateur à chaque
nouvelle connexion, afin de lui rappeler l’espace restant ainsi que ses
obligations légales, afin qu’il se conforme à la législation en vigueur, sous
peine de suspension ou de résiliation du compte. En parallèle, des mails
pourraient également être envoyés, avec la même finalité. Pour terminer,
l’ensemble de ces procédés devrait figurer dans les conditions générales
d’utilisation du média social.
26. La mise en
œuvre de cette idée aurait pour avantage de s’assurer, d’une part, que les
parents ont eu le temps de se mettre en conformité avec la législation en
vigueur, et d’autre part permettrait aux services de plates-formes en ligne
diffusant l’image du mineur de démontrer leur réelle volonté d’œuvrer pour la
protection des mineurs. Bien entendu, pour que le graphique-jauge soit
effectif, il faudrait que l’ensemble des principaux médias sociaux collaborent
entre eux afin que le pourcentage apparaissant dans l’onglet « diffusion
d’image » de chaque compte utilisateur, soit le même. Par exemple, si un
mineur diffuse son image dans le cadre d’une chaîne YouTube et d’une chaîne
TikTok, et que l’ensemble des contenus diffusés au sein de ces deux chaînes
représente 75 % du graphique-jauge, alors ce résultat devrait être
visualisé aussi bien sur le compte YouTube que sur le compte TikTok, sans quoi
l’effectivité de ce procédé serait nulle. En effet, si chaque média social
utilise son propre graphique-jauge, on pourrait alors constater des
pourcentages distincts suivant l’utilisation du média par le mineur. De la
sorte, il est certain qu’il serait difficile pour les parents du mineur de se
mettre en conformité avec la législation (notamment au regard de
l’article 3-I (1°). Toutefois, cette coopération entre les médias sociaux
peut, en pratique, être difficile à mettre en place, et c’est pourquoi cette
idée devrait provenir d’abord d’une initiative gouvernementale, qui
s’imposerait par la suite à l’ensemble des médias sociaux53.
B –
L’ouverture au mineur de l’exercice du droit d’effacement ou le droit à
« l’oubli numérique » : un droit de portée générale s’adressant
à tous les enfants ?
27. L’autre
grande nouveauté que l’on peut retrouver au sein de cette proposition, c’est
l’ouverture du « droit à l’effacement aux mineurs dont l’image est
diffusée par une plate-forme de partage de vidéos »54. Ce droit est évoqué
à l’article 5 qui dispose que « sur demande de la personne concernée,
y compris lorsque celle-ci est mineure, le service de plate-forme de partage de
vidéos est tenu de faire cesser dans les meilleurs délais la diffusion de
l’image du demandeur lorsque celui-ci était mineur à la date de ladite
diffusion »55. En effet, pour
justifier ce procédé inédit, le tome I du rapport de la proposition de loi
rappelle qu’« en raison de l’incapacité juridique dans laquelle sont
placés les mineurs, le droit d’effacement qui leur est reconnu ne peut être
exercé que par le titulaire de l’autorité parentale ». Or il existe de
nombreuses situations dans lesquelles les parents sont responsables de la
diffusion de contenus faisant apparaître leurs enfants et trouvent un intérêt,
notamment financier, à ce que ces contenus restent en ligne. Aussi,
l’article 5 autorise les mineurs à exercer eux-mêmes leur droit à
l’effacement lorsque leur image est diffusée par un service de plate-forme de
partage de vidéos, y compris dans les cas où leurs représentants légaux s’y opposeraient ».
L’article 5 viendrait ainsi compléter, élargir et renforcer les
dispositions actuelles en ce domaine (L.
n° 2016-1321, 7 oct. 2016, art. 63, pour
une République numérique ; ou encore L.
n° 78-17, 6 janv. 1978, art. 51, Informatique et
libertés).56
28. En conséquence,
il semble que la mise en œuvre pratique de l’article 5 se calque sur la
procédure en trois étapes de la Cnil57. La première étape
consiste à s’assurer que la photo et/ou prochainement la vidéo, permet de s’identifier.
Ensuite, la seconde étape préconise de contacter le responsable du site sur
lequel est publiée l’image et/ou prochainement la vidéo. En général, il faut
mentionner dans le courriel les URL concernées, l’information à supprimer, le
motif, ainsi que tous documents permettant de prouver son identité58. Enfin, et de manière
facultative, la procédure se termine sur la possibilité pour la personne
n’ayant reçu aucune réponse satisfaisante de la part du site, du réseau social
ou encore du service en ligne sous 1 mois, soit de contacter « la
Cnil via son formulaire de plainte en ligne »59 soit de saisir
une juridiction.
29. Il ressort de
cette analyse un constat plutôt positif. Tout d’abord, parce que
l’article 5 semble avoir une portée générale, puisqu’il s’adresse à tous
les mineurs et non pas seulement aux enfants faisant l’objet d’une déclaration
de diffusion ou d’une demande d’autorisation individuelle préalable. Ensuite,
parce que cette disposition permettrait aux enfants de s’interroger sur les
divers dangers pouvant découler de la diffusion de leur image. Toutefois, en
pratique, la mise en œuvre d’un tel droit devrait être suffisamment réfléchie.
En effet, puisque cette disposition s’adresse directement aux mineurs, les
services de plates-formes de partage de vidéos devraient, dans cet ordre
d’idées, mettre en place un système d’information pédagogique au service des
mineurs. Il pourrait par exemple s’agir d’une « bannière
informative » située en haut de la page internet (site, média social,
etc.). Il y serait mentionné, en des termes simples, que le mineur a le
droit d’effacer ses vidéos quand il le souhaite. De son côté, le gouvernement
devrait également effectuer une large campagne de communication afin d’informer
les parents et les enfants de ce nouveau droit.
30. En
conclusion, il ressort de notre étude portant sur l’adoption de la loi relative
à l’encadrement de l’exploitation commerciale de l’image des enfants sur les
plates-formes en ligne, un bilan d’ensemble plutôt satisfaisant. L’exploitation
des mécanismes existants (extension du régime de demande d’autorisation
individuelle préalable aux enfants influenceurs) et la création de nouveaux
mécanismes spécifiques à ces activités (déclaration de diffusion, ouverture de
l’exercice du droit à l’oubli numérique, responsabilisation des plates-formes
de partage de vidéos) sont là le reflet d’un travail précis qui permet de
combler, à plusieurs niveaux, le vide juridique actuel. En effet, face à une
variabilité d’aménagements possibles de ces activités (exercées dans le cadre
d’une relation de travail établie, ou non établie, mais avec perceptions de
revenus, etc.), il se dégageait plusieurs axes d’étude auxquels il fallait
trouver des solutions, c’est ce qui apparait à la lecture de cette proposition
de loi. Au vu de ces remarques, il est certain que toute l’attention devra se
porter à présent sur le décret d’application. En effet, le flou résultant de
l’article 3 et s’agissant des « seuils » qui ne sont pas encore
déterminés, ni même donnés à titre indicatif, ou encore le manque de précision
quant à l’application pratique des articles 2, 4 et 5 nous laissent
en suspens. C’est pourquoi, nous en sommes venus à proposer la mise en place de
certains mécanismes, dans le but de parfaire les objectifs poursuivis par cette
proposition de loi.
Ainsi, au regard de la
présente étude, nous recommandons :
·
de renforcer des conditions d’accès au métier d’enfant influenceur
(établissement d’un bilan psychologique des parents et de l’enfant de plus de
6 ans, et un renouvellement d’agrément à effectuer tous les
6 mois) ;
·
d’imposer la création de nouveaux outils permettant de responsabiliser
davantage les plates-formes de partage de vidéos (création d’un graphique jauge
accessible à partir du compte de l’utilisateur, permettant d’alerter ce
dernier – à partir d’un certain seuil – sur les possibles démarches à
effectuer au regard de la réglementation en vigueur) ;
·
de créer un centre de gestion des médias sociaux pour faciliter le contrôle
de la régularité des comptes ou chaîne exposant des mineurs.
Pour terminer, même si l’on doit saluer l’initiative française en ce
domaine, il ne faut pas oublier que le régime de l’autorisation individuelle
préalable ne doit pas être perçu comme une fin en soi : trop de risques
y subsistent. Aussi, conseillons-nous de percevoir cette proposition de
loi de manière symbolique, comme la première pierre posée dans une
construction, qui, pour être achevée, devra garantir la protection de tous les
enfants concernés par ces activités.
Notes
de bas de pages
|